Dépaysée, à chaque fois
Cela
fait dix ans cette année que je passe une à deux fois par an quelques
jours dans cette maison normande, au bout de ce chemin désert et malgré
le temps qui passe, malgré la répétition d'habitudes immuables, je me
sens toujours autant étrangère en ce lieu. Tout là-bas y est si autre
que ce que j'ai connu enfant, puis à présent adulte, que je ne m'y fais
pas, que je ne m'y ferai sans doute jamais. Des rituels familiaux aux
traditions culinaires, de cette langue qui n'est ni tout à fait la même
ni tout à fait une autre que la mienne, rien ne m'est familier et en
même temps, d'une fois sur l'autre, rien ne change. J'aime y aller mais
je ne peux y réprimer, à chaque fois, une sorte de malaise.
Cette
fois-ci, en plus, la nature avait décidé de me surprendre car le
paysage, lui, avait changé ! La dernière tempête a permis à la mer de
l'emporter face à la dune en en engloutissant une belle partie.
Avant,
la dune était continue et établissait une barrage naturel entre la mer
et le marais ; à présent, la petite maison aux volets bleus est bien
solitaire et, lors des grandes marées, plus rien n'arrête la mer, pas
même la route qui est à peine surélevée. Dès le premier jour, lorsque
nous sommes arrivées par la petite route qui bifurque face à cet
endroit, Pacsette et moi avons été saisies par ce changement inattendu
du paysage. Durant les quatre jours de notre séjour, nous n'avons cessé
d'être happées par ce spectacle, si beau, si déroutant, si étrange, si familier pourtant. L'ironie de l'histoire veut qu'il y a peu j'aie relu La joie de vivre
de Zola, roman dans lequel l'un des personnages tente vainement de
lutter contre la mer qui grignote un peu plus un village normand à
chaque tempête ... Nous en avions parlé avec Pacsette, sans nous douter
que cela se reproduirait ici.
Ainsi, plutôt que de me retrouver
comme je le souhaitais dans la note précédente, je me suis plutôt
perdue, une fois de plus dans cette famille qui me reste si autre, pour
la première fois devant ce paysage que je croyais figé. En même
temps, en un sens, j'ai renoué avec la loi fondamentale qui veut
que l'on ne peut rien contre la nature : la nature dans toute sa
magnificence qu'est la mer, la nature humaine comme ces gens que
je ne comprendrai sans doute jamais, ma nature intime que personne,
finalement, ne pourra réellement entraver.