L'expérience du silence
Il m'aura fallu attendre mon déjà grand âge et surtout, tant qu'à
faire, d'être en vacances avec plein d'envies de sorties et de
papotages entre copines en tête pour me réveiller complètement aphone
un beau matin pour la première fois de ma vie. Certes, ma voix
eraillée, mon souffle court et ma gorge qui rechignait à avaler
m'avaient lancé des signaux d'alerte la veille mais je fus tout de même
bien décontenancée lorsque je me suis soudain rendue à l'évidence : je
croyais parler mais on ne m'entendait plus ou presque. J'ai eu bien du
mal, les premières heures, à intégrer l'idée qu'il n'y avait rien à
faire d'autre qu'attendre, à part me taire, évidemment, et préserver
ainsi mes cordes vocales le plus possible. Pour une bavarde comme moi,
ce fut une expérience ... originale. Moi qui parle souvent plus vite
que je ne pense, dont les mots se bousculent parfois au point de se
mélanger, il m'a fallu faire l'effort de me demander systématiquement
si ce que j'avais à dire en valait vraiment la peine et force me fut de
constater que bien souvent la réponse à cette question existentielle
était un non des plus catégoriques. Autant vous dire que mon ego en a
pris un petit coup ! Malheureusement, aujourd'hui que ma voix est
revenue du moins en partie, il ne m'est resté aucune sagesse de cette
petite leçon de vie et les mots se bousculent à nouveau plus vite que
ma bouche ne peut les former. Bigre !
Par mimétisme, mon entourage
s'est aussi mis à chuchoter et ça, ce fut la partie la plus amusante
mais aussi la plus reposante de l'histoire. J'ai même d'ailleurs failli
rire (mais aucun son ne sortait !) quand j'ai eu besoin d'appeler ma
Pacsette mais qu'en étant incapable, j'ai demandé à MissLou de le faire
pour moi et que cette dernière, m'imitant sans bien comprendre à quoi
je jouais, chuchotait des "maman Pacsette, maman Pacsette" à peine plus
audibles que les miens mais pleins de bonne volonté. MamzelleLilise
quant à elle n'éprouva absolument aucune compassion à mon égard et
après m'avoir regardée d'un air surpris lorsque j'ai essayé de lui dire
bonjour, elle m'éclata tout bonnement de rire au nez.
Au bout de
plusieurs heures, j'ai traversé un long moment d'angoisse (et de
solitude, ne pouvant pas vraiment la partager avec les autres !) : et
si ma voix ne revenait pas ? et si je restais ainsi à tout jamais,
susurrant au mieux ? et si ma voix revenait pour mieux repartir ? et
si ? et si ?
Finalement, 4 jours plus tard, je peux à
nouveau me faire correctement entendre mais je ne peux toujours pas
parler beaucoup, ni fort, ni longuement ... et ça commence à
m'inquiéter pour de bon !