Ecole buissonière
Ce lundi matin avait pourtant
commencé comme tous les autres, par un réveil un peu trop matinal mais
pas pesant pour autant, par des instants partagés avec les enfants, un
œil toujours rivé sur la grande pendule de la cuisine qui seule dicte le
ton plus moins pressant de nos voix. Il y a quelques mois encore, avant
cette première rentrée scolaire pour MissLou et cette première année
chez la nounou pour MamzelleLilise, nous redoutions ces petits matins
que nous imaginions toujours trop pressés, parfois un peu agacés.
Finalement, le rythme a vite été pris et nous sommes plutôt fières de
parvenir à prendre le temps d'être ensemble malgré tout, fut-ce avec une
MamzelleLilise qui furète sous nos jambes pendant qu'on se pomponne ou
avec une MissLou qui vient terminer sa tartine sur la petite marche de
la salle de bain pour être plus près de nous. Depuis que MamzelleLilise a
découvert le plaisir de profiter des dernières minutes de la nuit dans
son lit, nous avons même droit à des petits déjeuners tranquilles, entre
mamans, qui nous rendent bien plus disponibles ensuite à la déferlante
qui suit le lever des filles.
Ce matin donc, rien ne laissait
présager que cette journée saurait nous surprendre. Seule la neige qui
nous a accueillies à l'ouverture du volet du salon aurait pu nous mettre
sur la piste mais son arrivée avait été annoncée avec tant d'alertes
orange que la magie en était un peu abîmée. Nous avons donc quitté la
maison deux par deux comme tous les matins, Pacsette accompagnant
MamzelleLilise chez sa nourrice, moi-même accompagnant MissLou à son
école puis partant pour la mienne. Sur le chemin, nous nous sommes
réjouies d'être les premières à laisser nos empreintes sur la neige du
trottoir de notre petite rue, puis nous avons regardé avec envie et
curiosité les grands de l'école primaire qui nous doublaient, suivis de
parents tirant de lourdes valises, promesses de voyage avec les copains.
C'est en arrivant devant la petite porte de la salle de classe de
MissLou que j'ai vu la pancarte verte qui annonçait une maîtresse
absente jusqu'à jeudi. J'avais beau avoir travaillé tout mon dimanche
pour préparer ma journée, je n'ai pas hésité une seconde. L'aubaine
était trop belle ! J'ai embarqué ma petite demoiselle avec moi et me
suis présentée avec elle à mon travail, expliquant ma déconvenue et mon
embarras. Mes derniers scrupules se sont envolés lorsque j'ai lu la
longue liste de collègues empêchés de se déplacer à cause des routes
enneigées et quand j'ai vu le peu d'élèves dans la cour. Tant pis,
j'aurai bien le temps de rattraper mes quelques heures de la journée
avant les vacances, et de profiter ainsi d'effectifs complets. Les
hasards de la vie avaient décidé que l'école serait buissonnière
aujourd'hui et nous n'allions pas bouder notre plaisir.
Notre plus
grand luxe de la journée fut d'ignorer royalement la grande horloge de
la cuisine dont même les tic-tac ne nous impressionnaient plus. Nous
avons savouré chaque instant de cette journée volée aux obligations
habituelles. Nous avons chanté, dessiné, peint d'abord avec les doigts,
puis avec des pinceaux puis avec une éponge, nous avons chanté encore
puis cherché le DVD des Fabulettes que nous avons regardé
ensemble, serrées l'une contre l'autre dans le fauteuil rouge. Nous
avons cuisiné un gâteau dont nous ignorions la recette ce matin encore.
Nous avons causé coiffure et barrettes multicolores. Nous avons fait du
découpage et j'ai souri en découvrant que je progressais de la main
gauche, que j'étais prête à enseigner cet art à ma fille. Nous avons
sorti une grosse pile de livres, nous sommes calées l'une dans l'autre
sur le canapé et nous n'en avons finalement feuilleté que deux, mais
plusieurs fois de suite.
A partir du goûter, le temps sans
MamzelleLilise a commencé à nous sembler bien trop long et c'est avec un
peu d'avance que je suis allée la chercher pour qu'on soit enfin au
complet. La si petite fille semblait avoir bien senti que j'étais
parfumée à la MissLou plutôt qu'à une journée passée au travail et elle
m'a d'abord boudée, se cambrant dans mes bras, criant, refusant de
s'habiller comme pour refuser de rentrer dans cette maison qui l'avait
un peu trahie aujourd'hui. Mes mots doux et mes caresses ne l'apaisaient
pas mais dès qu'elle a vu sa grande sœur et sa Mimi qui attendaient
impatiemment son retour derrière la fenêtre, elle a ri de les voir là
toutes deux. Elle a néanmoins mis quelques minutes avant d'accepter de
nous faire un baiser, comme pour bien signifier à toutes qu'elle n'était
pas dupe mais elle a ensuite vite retrouvé sa bonne humeur et s'est
lancée dans nos jeux. Elle nous a même fait le cadeau de ses premiers
vrais pas de grande, seule, sans appui. Observant ma si petite fille
prendre son élan pour devenir grande, je me suis promis de lui consacrer
une belle journée, à elle toute seule, dès le début des prochaines
vacances.