Jeudi noir
Il est des mots si lourds que même ici il est bien difficile de les poser tant ils crèveraient l'écran.
Jeudi
fut un jour d'orage et la soirée laissera de vilaines traces dans nos
esprits. Mais la vie est ainsi faite que les choses finissent toujours
pas reprendre leur cours, cahin caha, et le vendredi, au petit matin,
les premiers mots de ma petite demoiselle à peine éveillée furent pour
me demander pourquoi quelques heures avant je m'étais "enroulée dans le
grand manteau" et pourquoi j'étais partie seule dans la nuit, comme ça,
si j'avais bien fait attention en traversant les rues. J'aurais eu bien
du mal à lui expliquer que j'avais eu besoin d'air, besoin de respirer,
besoin de silence pour penser, besoin de me perdre dans la nuit pour me
retrouver dans mon esprit et que, même quand je suis revenue devant
notre maison, j'ai mis plusieurs minutes avant de comprendre que oui,
c'était bien là chez moi, que j'avais une place encore auprès d'elles,
qu'elles m'attendaient. Je ne pouvais pas dire à une si petite
demoiselle que je n'avais jamais imaginé qu'un jour je partirais ainsi,
que je serais de ces mamans qui parfois ne savent plus, ne peuvent plus,
peut-être même, ne veulent plus, du moins quelques heures. D'ailleurs
elle n'a pas vraiment attendu de réponse, elle s'est simplement glissée
entre mes bras qui tenaient déjà sa petite sœur et elle s'est serrée
contre moi, fort, et mes bras qui la serraient ainsi contre mon cœur
lui disaient que ce n'était pas de sa faute à elle, que c'était les
autres, tout autour, la vie, la société, les soucis, l'enlisement, les
"pas de solution" à tout ça, la honte sans doute aussi de n'avoir à
offrir que cet horizon à mes enfants qui avaient fait que soudain je
n'avais plus su que faire d'autre que rêver juste de disparaître. Et que
je n'en étais pas fière.
Petit à petit, la douceur revient dans mon cœur et apaise mon esprit. Nous vivons au jour le jour et c'est la
seule manière de vivre vraiment pour ne pas rater les petits riens du
quotidien qui sont peut-être la seule raison d'être, finalement. Les
soucis, les mauvaises nouvelles, les courriers qui laissent impuissantes
reprendront très certainement dès lundi matin mais en attendant, nous
avons deux grandes journées à vivre, comme une trêve qui nous serait
offerte pour reprendre un peu de souffle.