Les nouveaux rendez-vous
Depuis notre
escapade vers le parc enneigé à la nuit tombée, il y a déjà deux
semaines, MissLou a pris goût à ce genre de petits rendez-vous, rien
qu'elle et moi, comme si nous étions seules au monde quelques instants.
Les
premiers jours, elle venait vers moi, me demandait ce qu'on allait
faire et parmi ce que je lui proposais elle choisissait systématiquement
l'activité la plus inaccessible à sa petite sœur, comme pour bien
s'assurer qu'elle n'aurait pas à me partager. Au fil des jours, elle a
pris de l'assurance et a laissé courir son imagination, me proposant
elle-même une nouvelle occupation, voire une petite sortie comme hier
soir où nous sommes allées sauter entre les flaques d'eau, main dans la
main, en chantonnant une chanson de Noël qu'elle n'a pas encore envie de
remiser au fond de son esprit jusqu'à décembre prochain. J'en viens moi
aussi à attendre ces petits rendez-vous avec ma grande fille, à prendre
avec bonheur sa main toute chaude dans la mienne, à me laisser glisser
dans son monde de petite demoiselle et faire comme si j'avais encore un
peu trois ans, à éprouver un vilain manque les jours où elle ne ressent
pas le besoin de nos têtes-à-têtes.
Ce soir, elle avait besoin de
simplicité. Elle s'est invitée au creux de mes bras, se nichant entre
mes jambes croisées en lotus, calant sa tête dans mon cou. Nous sommes
d'abord restées longuement silencieuses, profitant de la douce chaleur
de nos deux corps réunis, nous imprégnant chacune de l'odeur de l'autre,
tentant d'y deviner les petits riens d'une journée passée chacune de
son côté. Puis, rassasiée de tendresse, elle s'est ébrouée comme on
s'éveille d'un rêve bien doux, est allée fouiner dans son panier de
poupées et en a ramené deux, une pour elle, une pour moi. Sans mot
dire, elle m'a invitée à l'imiter et nous avons joué ainsi, ensemble et
séparément à la fois, nous avons joué avec beaucoup de sérieux comme il
se doit, sans éprouver tout de suite le besoin de rompre le silence.
C'est elle qui a parlé la première et j'ai compris alors que le choix de ce jeu n'était pas le fruit du hasard : la petite fille voulait savoir. Savoir où elle était exactement dans mon ventre. Si elle y était au chaud. Si elle y avait mangé des pâtes et du chocolat. Où était sa petite sœur quand elle-même était dans mon ventre. Si sa Mimi avait aussi un bébé dans le ventre. Si elle avait aussi les cheveux orange quand elle était bébé. Si elle est encore un bébé. Si elle peut être un bébé mais également une petite fille. En même temps. Les questions jaillissaient, se coupaient, se recoupaient, aussi. Les réponses importaient peu, finalement. Les réponses n'étaient pas encore nécessaires. Pour l'heure, seule comptait la possibilité de formuler toutes ces questions. De leur donner vie avec des mots, de leur donner vie en les faisant tomber dans mon oreille.