Invitation à la lenteur
Alerte orange pour journée blanche. La neige nous a
cueillies au réveil, annonçant une journée pleine de magie. On avait
beau savoir qu'elle était prévue, elle est toujours si discrète que
c'est à chaque fois un étonnement de découvrir la surprise qu'elle nous a
concoctée alors qu'on dormait ! Nous étions d'autant plus saisies que
c'est notre quatrième hiver ici et c'est la première fois qu'il neige
autant.
Plus les heures ont avancé, plus la neige est tombée.
Silencieuse et régulière. Apaisante. Les passants ont pris des allures
de fildeféristes et les voitures ont fait des petits bonds de danseuses
débutantes.
Certes, circuler est devenu de plus en plus compliqué au
fil de la journée mais je n'ai pu résister à l'envie d'aller mouiller
mes petits escarpins au parc ce midi pour faire de jolies photos. Je me
suis retrouvée seule, complètement seule, loin du brouhaha de la ville
qui était amorti par toute cette neige. Seul le crissement de la neige
sous mes pieds m'accompagnait. C'était beau. C'était grand. J'avais les
pieds trempés mais le cœur tout réchauffé, comme une gamine. Je me suis
sentie si bien qu'en fin de journée je suis allée chercher mes
demoiselles chez leur nounou avec une paire de bottes colorées à la
main, de bonnes chaussures aux pieds et j'ai embarqué ma MissLou pour
une petite virée au parc à la nuit déjà tombante. La petite fille a
marché vaillamment jusque là et a serré ma main plus fort lorsque nous
avons pénétré sur cet immense tapis blanc pas encore marqué
d'empreintes, comme s'il nous attendait. Elle a tenu à ce que je touche
la neige la première. Elle a pris confiance tout doucement, me lâchant
la main puis s'éloignant quelque peu, enfin sautant et courant dans la
neige.
Elle a ri et virevolté comme jamais, emportée par
cette liberté trop rare de se rouler par terre, de se mouiller, de se
salir, d'oublier les chemins tracés, bétonnés et dont il ne faut pas
s'écarter habituellement. La nuit ne l'effrayait plus, enfin. Les
lampadaires diffusaient une lumière ténue pour nous seules et qui nous
suffisait bien.
Sur le chemin du retour, nous étions seules dans les
rues, encore. Quelques raies de lumière intermittentes laissaient
deviner que tout le monde s'était calfeutré chez soi, fermant ses volets
à cette blancheur inhabituelle dont on ne sait trop que penser. MissLou
et moi étions joyeuses, simplement, de ce beau moment partagé qu'on ne
soupçonnait pas ce matin encore. La neige qui fait ralentir passants et
voitures, imposant sa douce lenteur à tous, nous a invitées, ma fille et
moi, à ce joli impromptu, à cette douce entorse à notre quotidien trop
bien réglé, à la mise en œuvre de notre seule résolution pour cette
année : profiter des petits riens pour ne plus craindre le temps qui
passe.