Quand l'émotion coule en musique
Première semaine de reprise à barrer sur le calendrier mais pas si facile que ça à rayer de mon esprit.
Depuis
que j'enseigne ici, je rentre rarement indemne de mes journées et je
passe de longues heures la nuit, les yeux grands ouverts, à tenter de
chasser de ma pensée les mots et l'image d'un élève ou l'autre. Rien
qu'aujourd'hui, j'étais finalement plutôt contente de revoir Y : renvoyé
à la Toussaint, parti alors en internat, puis renvoyé de l'internat une
semaine après, revenu chez nous trois semaines plus tard "en attente
d'une décision", soi-disant en partance cette semaine pour un nouvel
atelier-relais mais bloqué ici par la neige et qui est venu me demander
si je l'accepterais à mon cours cet après-midi car il ne savait plus
trop comment s'occuper ni où aller. Pénible durant toute l'heure : regardez
moi, regardez moi, entendez-moi, écoutez-moi, regardez-moi, j'existe
ici encore un peu alors écoutez-moi, écoutez-moi, regardez-moi, je suis
là, ne m'oubliez pas... Il a planté mon cours mais j'étais
finalement bien contente de le savoir là. Décidément, je ne m'habitue
pas à la misère. Ni à la colère.
Et puis, il y a eu l'agitation trop
violente de MissLou ces deux derniers soirs pour ne pas soupçonner des
émotions trop fortes vécues dans la journée par la petite fille qui
manque sans doute encore de mots pour les exprimer autrement. Tant de
découvertes et si peu de repères pour les appréhender. Et nos doutes
quant à la meilleure façon de l'aider à faire son chemin. Et cette
insupportable idée qu'elle peut souffrir, ne serait-ce que trente
secondes par jour, sans que je sois à ses côtés à ce moment-là.
Et
aussi les grands pas en avant de notre MamzelleLilise qui se lance à
imiter nos intonations et surtout les sons que l'on produit en parlant
ce qui donne des semblants de bouts de phrases étonnants comme ce
"émamaman" presque crié en s'accrochant à moi alors que sa sœur me
réclamait et qui m'a mis les larmes aux yeux hier. Et surtout son
inquiétant pas en arrière avec ce reflux qu'on espérait enterré bien
profond et qui semble revenir nous renvoyant d'un coup en pleine face sa
prématurité, sa douleur, notre impuissance au moment où on s'y
attendait le moins, où on croyait tout cela derrière nous. Et la peur
d'avoir à refaire tout ce chemin une nouvelle fois.
Et encore les
tourments de ma Pacsette ces derniers jours, ses doutes, son désespoir,
et in fine une bonne nouvelle qu'on n'osait même plus espérer : un
entretien lundi matin, le tout premier en trois mois, pour pas grand
chose mais c'est toujours mieux que rien. Et la crainte de s'emballer,
de trop y croire, de retomber plus bas.
Et enfin les cris du monde
extérieur qui grondent dans ma radio, les morts qui tombent à Gaza,
l'image des mères bafouée par le gouvernement français, toutes ces vies
gâchées, tout ce mépris, ces mensonges permanents ...
Et moi, dans
tout ça ? j'absorbe ces émotions, je gère comme je peux, je ne me laisse
pas trop le temps d'y penser toute la semaine et là, soudain, au détour
d'un vendredi soir comme les autres, quand la pression se relâche,
quelques notes, un filet de voix, le souvenir d'une jeune artiste aux
pieds nus, des mots qui me saisissent
[Découvrez Emily Loizeau!]
et soudain tout ce trop plein d'émotions qui coule sur la musique.